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Agone
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« Le pouvoir nous enseigne à rejeter l'évidence de nos yeux et de nos oreilles. C'est son commandement ultime, le plus essentiel. Winston sentit son coeur lui manquer à la pensée de la puissance démesurée qui était déployée contre lui, à la facilité avec laquelle n'importe quel intellectuel le remettrait à sa place avec des arguments subtils qu'il serait incapable de comprendre, et plus encore de contrer.
Et pourtant, il avait raison ! Ils avaient tort, il avait raison. Il fallait défendre les évidences, les platitudes, les vérités. Les truismes sont vrais, accrochons-nous à cela ! Le monde physique existe, ses lois ne changent pas. Les pierres sont dures, l'eau est liquide, tout objet lâché est attiré par le centre de la terre.
Avec le sentiment de s'adresser à O'Brien, et aussi d'énoncer un axiome important, Winston écrivit : La liberté est la liberté de dire que deux et deux font quatre. Si cela est accordé, tout le reste suit. »
Dans la mégapole d'une superpuissance mondiale, Winston Smith vit, cadenassé dans sa solitude, sous le regard constant du télécran. Employé au ministère de la Vérité, il réécrit quotidiennement les archives de presse pour les rendre conforme avec la ligne officielle du moment. Mais un jour, le petit employé de bureau se rebelle, commence un journal, tombe amoureux et flâne dans les quartiers où vivent les proles, soustraits à la discipline du Parti. Dans ces lieux où subsistent quelques fragments du passé aboli, il va s'engager dans la rébellion...
« Novlangue », « police de la pensée », « Big Brother »... Soixante-dix ans après la publication du roman de George Orwell, les concepts clés de 1984 sont devenus des références essentielles pour comprendre les ressorts totalitaires des sociétés contemporaines. Dans un monde où la télésurveillance s'est généralisée, où la numérisation a donné un élan sans précédent au pouvoir des grandes entreprises et à l'arbitraire des États, où le passé tend à se dissoudre dans l'éternel présent de l'actualité médiatique, le chef-d'oeuvre d'Orwell est à redécouvrir dans une nouvelle traduction et une édition critique.
Parue pour la première fois au Québec en 2019 aux éditions de la rue Dorion (Québec), cette nouvelle version corrige les lacunes de la traduction initiale réimprimée à l'identique depuis 1950 (une quarantaine de phrases manquantes, de nombreux contresens) ; et, au contraire de la traduction « moderne » parue en 2018, restitue la dimension philosophique et la fulgurance politique du roman d'Orwell dans les termes que des millions de lecteurs se sont appropriés depuis plus d'un demi-siècle ; tout en rendant hommage à la dimension poétique de cette oeuvre pleine d'humour, d'amertume et de nostalgie. -
Histoire de France populaire : D'il y a très longtemps à nos jours
Laurence de Cock
- Agone
- 15 Novembre 2024
- 9782748905717
Dans la poursuite du travail de Howard Zinn et de Gérard Noiriel,
ce livre revisite les mythes nationaux à l'aune des avancées historiques les plus récentes.
Interroger les origines de la France, retracer les résistances et les révoltes
pour placer au coeur de l'histoire les acteurs et actrices oubliées
par le grand roman national et colonial. « La France est un pays où l'on adore l'histoire. Tout le monde en connaît à peu près les principaux évènements - ne serait-ce que parce que l'école nous les a transmis. Ce récit, que nous aimons écouter, s'appelle "récit national", car il s'agit d'une histoire de la construction de la France comme nation. On en parle aussi en termes de "roman national" tant il se rapproche parfois de la fiction. Ce récit est puissant, facile à raconter et il fournit à peu de frais de l'orgueil national à celles et ceux qui aiment s'inscrire dans de grandes lignées éternelles. » Mais ce récit est biaisé et ignore l'essentiel des connaissances accumulées depuis par les professionnels de la recherche historique. Il laisse aussi de côté les hommes et les femmes "ordinaires" en mettant l'accent sur les personnages "extraordinaires", essentiellement des hommes. Ce qui laisse penser que le moteur de l'histoire est aux mains de ceux qui ont le pouvoir, que les autres doivent se contenter de subir leurs décisions, qu'ils n'en prennent jamais eux-mêmes, qu'ils n'ont aucun poids dans les changements historiques et ne jouent aucun rôle dans les basculements de l'histoire. » Notre récit part à la recherche du "populaire", pris dans les mécanismes de dominations, en revisitant les épisodes du récit national, mais en y ajoutant d'autres moments historiques, et surtout d'autres acteurs, et actrices. Il faudra donc lire ce livre comme une aventure faite de luttes, de résistances, de désenchantements, de soumissions, d'émancipations, de défaites et de victoires. Une épopée tantôt joyeuse, tantôt triste et sanglante, et qui se déroule jusqu'à nos jours. Car on ne peut éviter de se poser la question : où est le populaire aujourd'hui ? et quel est son destin ? » -
« Avec beaucoup de douceur, Spartacus le presse : "Je dirai un mot et puis tu diras un mot. Nous sommes des êtres humains. Nous ne sommes pas seuls. Avons-nous fait des choses terribles pour qu'on nous amène ici ? Il ne faut pas que nous ayons honte et que nous nous haïssions l'un l'autre. Tout homme possède un peu de force, un peu d'espoir, un peu d'amour. Ce sont comme des graines plantées dans le coeur de tous les hommes. Mais celui qui les garde pour soi, il les voit se dessécher et mourir très vite. Si, par contre, il donne sa force, son espoir et son amour à d'autres, alors il en retrouve des réserves inépuisables. Il n'en manquera plus jamais et sa vie vaudra la peine d'être vécue. Et crois-moi, gladiateur, la vie est la meilleure chose qui existe au monde. Nous le savons. Nous sommes des esclaves. Nous n'avons rien d'autre que la vie, nous savons donc ce qu'elle vaut. Les Romains possèdent tant d'autres choses que la vie pour eux n'a pas grand sens. Ils jouent avec elle. Mais nous, nous prenons la vie au sérieux, et c'est pourquoi nous devons nous efforcer de ne pas être seuls. Tu es trop seul, gladiateur. Parle-moi un peu." »
Dans une Rome ravagée par la corruption et l'arbitraire, où les puissants s'engraissent sur le dos des esclaves qui meurent dans les champs et les mines, un fils et petit-fils d'esclaves, Spartacus, se met dans l'esprit de changer le monde. À la tête d'une troupe d'opprimés galvanisés par la légitimité de leur révolte et surpris par leur propre force, il fera trembler Rome au cours d'une véritable guerre qui durera deux ans. Ni naïf, ni dogmatique, Spartacus rappelle avec vigueur et lucidité que rien ne justifie d'accepter indéfiniment l'injustice. Et qu'un soulèvement est si vite arrivé...
Auteur de plus de quatre-vingt titres, parmi lesquels La Dernière Frontière, La Route de la liberté, Le Citoyen Tom Paine ou Spartacus (Agone, 2016), et de polars signés sous le pseudonyme E.V. Cunningham, dont Sylvia, Fast (1914-2003) brosse le portrait d'une période tourmentée de l'histoire américaine à travers son parcours personnel, qu'il retrace dans sa biographie Mémoires d'un rouge (Agone, 2018).
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Comprendre comment les médecins perpétuent les obstacles et l'inégalité dans l'accès à l'avortement, et comment s'opposer à ce contrôle. « Elle a appris, au cours de ses études, à être médecin. C'est-à-dire non pas seulement à ausculter et à opérer, mais aussi à occuper une position de pouvoir. L'expertise des médecins, le monopole du contrôle de l'accès aux soins que confie l'État à cette profession ainsi que la situation de vulnérabilité des patientes (maladie, blessure ou grossesse, désirée ou non) créent une dépendance des secondes envers les premiers. Non sans ressemblance avec le pouvoir des parents sur leurs enfants, c'est cette dépendance qui fonde la domination médicale : celle-ci ne s'exerce pas gratuitement - la médecine n'est pas tyrannique - mais bien en contrepartie d'un soin, ce qui lui donne sa force. » À partir de plusieurs années d'enquête combinant observation du travail médical dans des centres d'IVG, enquête statistique et entretiens menés auprès de professionnelles et professionnels de santé, ce livre éclaire les causes et les mécanismes de l'asymétrie de la relation entre les patientes et le corps médical. Pourquoi l'avortement reste un parcours de la combattante alors que la loi n'a cessé de le libéraliser ? En interrogeant l'évolution du rapport des médecins à l'avortement, l'auteur montre que la réponse à cette question se trouve du côté de la pratique médicale, et de la manière dont celle-ci varie en fonction des avortantes. Toutes les demandes d'avortement ne se valent pas : selon leur classe sociale, leur couleur de peau, leur langue, leur âge, leurs comportements sexuels et procréatifs, selon les médecins qu'elles consultent, les femmes accèdent plus ou moins facilement à l'avortement. En montrant comment le consentement « libre et éclairé » n'est le privilège que de quelques-unes, l'auteur révèle le rôle que joue la médecine dans la production des inégalités et, à l'instar de l'école, de l'Église ou de la justice, dans l'institution et le maintien de l'ordre social . Raphaël Perrin est docteur à Paris-I Panthéon-Sorbonne, membre du Centre européen de sociologie et de science politique (Paris) et membre invité du Centre Norbert-Elias (Marseille). Ce livre est son premier ouvrage, issu de sa thèse.
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Ce livre met les acquis du féminisme marxiste, du marxisme noir et de l'écomarxisme au service de la critique de l'extension contemporaine du capitalisme. « La sauvegarde de la planète passe par la construction d'une contre-hégémonie. Il s'agit de transformer la cacophonie actuelle en un sens commun écopolitique capable d'orienter un projet de transformation largement partagé. Ce sens commun devra trancher dans la masse des opinions contradictoires pour enrayer le réchauffement de la planète, mais il devra aussi transcender le "strictement environnemental". Pour s'attaquer dans toute son ampleur à la crise générale, on doit raccorder le diagnostic écologique à d'autres questions d'intérêt vital, comme la précarité des moyens de subsistance et le déni des droits du travail ; le désinvestissement public de la reproduction sociale et la sous-évaluation chronique du travail de care ; l'oppression ethno-raciale-impériale et la domination de genre et sexuelle ; la spoliation, l'expulsion et l'exclusion des migrants ; enfin, la militarisation, l'autoritarisme politique et les violences policières. » Central dans les débats sur la reproduction sociale, le racisme, l'État et l'écologie, cet ouvrage est utile à tout lecteur qui souhaite comprendre les crises actuelles. Plutôt que de se concentrer sur les contradictions à l'intérieur de l'économie capitaliste, Nancy Fraser explique la domination, la destruction et les crises par la construction de frontières entre l'économie capitaliste et les sphères non marchandes telles que le "travail domestique" non rémunéré, la nature, les structures politiques et les peuples expropriés. Cette nouvelle conception, plus large, du capitalisme en tant que système et non plus seulement en tant qu'économie lui permet de répondre à des questions essentielles : ainsi, l'oppression fondée sur le genre ou la race est-elle une caractéristique structurellement nécessaire du capitalisme ? Son travail de théorisation s'accompagne d'une analyse historique de la façon dont ces quatre « sphères » s'articulent avec l'économie durant les grandes phases du capitalisme : le capitalisme mercantile (XVIe-XVIIIe), la phase libérale-coloniale (XIXe siècle), le capitalisme géré par l'État (entre-deux-guerres et Trente Glorieuses), et le capitalisme financiarisé d'aujourd'hui. Cet axe lui permet de pointer non seulement les impasses du capitalisme, mais aussi celles de certains mouvements d'émancipation : au lieu de s'en prendre à des maux sociaux séparément, les luttes antiracistes, féministes, écologiques et politiques devraient comprendre comment elles convergent pour s'attaquer à la société capitaliste dans son ensemble. Son argumentation permet de faire dialoguer Karl Marx, Rosa Luxemburg avec des voix issues du féminisme marxiste (comme Eli Zaretsky, Lise Vogel, Nancy Flobre), du marxisme noir et de l'écomarxisme (comme James O'Connor et Jason Moore).
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Analyser les mécanismes qui ont marginalisé la gauche dans les médias. Enfin un peu de franchise sur les liens entre journalisme et politique. « Front médiatique contre la gauche ; front de gauche face aux médias ? La question appelle à la nécessaire politisation de la question médiatique. Une politisation qui devrait porter sur trois versants complémentaires : renforcement des médias indépendants ; transformation radicale des médias dominants ; changement du rapport de la gauche aux médias. » Cet essai est le procès d'une absence, celle de la gauche, désormais reléguée au second plan dans la presse. Dans cette chronique de la droitisation du débat public, l'autrice analyse la façon dont il a été verrouillé par l'ensemble des médias dominants, y compris « de gauche », qui ont reboublé d'efforts pour bipolariser les champs politique et journalistique autour des figures d'Emmauel Macron, de Marine Le Pen, de leurs doublures et de leurs thématiques sécuritaires et économiques. Basé sur une documentation précise, ce livre retrace l'effondrement intellectuel du « journalisme politique », qui a perdu tant en substance qu'en consistance, laissant le storytelling remplacer l'information. L'autrice aborde notamment le traitement des différents projets de réformes par les chefs-lieux éditoriaux, souvent transformés en SAV du gouvernement...
S'appuyant sur l'émergence de la comm' comme cadre politique et journalistique, Pauline Perrenot dévoile le monopole absolu de la pensée libérale dans les médias et l'imbrication de la profession avec le monde patronal. Un président créé de toutes pièces par les médias, la croisière journalistique de l'extrême droite, une kabbale réactionnaire qui ponctue les séquences des chaînes d'information... drôle d'état que celui de la presse dans l'Hexagone. Pauline Perrenot s'appuie sur le traitement des thèmes qui ont « fait » l'actualité jusqu'aux élections qui ont suivi la dissolution de l'Assemblée nationale : maintien de l'ordre, sondages, loi sécurité globale, gilets jaunes, violences policières, émergences d'Éric Zemmour et de Jordan Bardella. Pour cette réédition, Pauline Perrenot applique ces grilles d'analyse aux questions d'actualités plus récentes qui confirment l'aggravation des pratiques devenues la norme du journalisme politique. Un constat pour que la disparition de la gauche ne passe plus inaperçu. -
Lutte et science des femmes : Du militantisme kurde à la production de savoir
Somayeh Rostampour
- Agone
- 23 Mai 2025
- 9782748905854
Dans l'urgence et face à la violence de la guerre,
un mouvement de femmes organisé en non mixité
lutte non seulement pour la libération de son peuple,
mais aussi pour sa propre émancipation. « Issu d'un contexte de conflit, ce savoir est profondément ancrée dans les réalités sociopolitiques et culturelles des populations kurdes, et se distingue par sa volonté de redéfinir le féminisme en le réconciliant avec les spécificités locales et en s'opposant aux paradigmes dominants issus des institutions académiques et des discours néocoloniaux. Adoptant une approche critique du discours hégémonique sur le féminisme, qu'elles considèrent comme « eurocentriste », « élitiste », « libéral », « institutionnalisé », « positiviste » « fragmenté » et « apolitique », ces militantes se réfèrent à la Jineolojî tout en évitant en grande partie de se définir comme féministes. Principalement élaborée par des actrices extra-académiques, la Jineolojî cherche à créer un savoir indigène accessible à toutes les femmes. Elle s'oppose au savoir académique en remettant en cause la monopolisation des récits féminins dans les pays du Sud par les institutions et discours dominants du Nord, tout en visant à démocratiser les savoirs pour les populations marginalisées et insurgées. se caractérise par des publications souvent dispersées et anonymes, accompagnées de discours parfois moralisateurs. Mais La Jineolojî, malgré son approche novatrice et militante, comporte des contradictions internes significatives. Elle se trouve donc confrontée à une tension entre ses objectifs émancipateurs et les structures patriarcales qu'elle entend déconstruire. » Ce livre a pour objet un féminisme qui ne dit pas son nom, qui émerge dans un conflit armé long, un féminisme pensé par et pour des femmes kurdes, au carrefour de plusieurs oppressions. Un féminisme qui bouscule les normes et idées occidentales, qui oscille en permanence entre émancipation effective et renforcement des normes genrées, et dont la théorie et la pratique sont indissociables.
Cet objet particulier s'inscrit dans un contexte qui ne l'est pas moins : un peuple sans État depuis que son territoire a été découpé sur quatre pays (Turquie, Iran, Irak, Syrie) ; une lutte pour la libération nationale contre l'État turc menée sur tous les fronts (légaux et clandestins, armés et pacifiques) ; une guerre permanente contre Daesh, influencée par l'humeur et les intérêts des pays occidentaux ; et une société patriarcale bousculée par un mouvement qui souhaite mettre la libération des femmes au coeur de son projet de société. L'autrice parvient à analyser l'émergence de cette théorie, résolument collective, en donnant la parole aux actrices qui la crée, sans faire l'impasse sur les contradictions du mouvement. Nuancée, l'autrice ne laisse place à aucune condescendance, et critique à la fois le nationalisme, l'orientalisme et l'eurocentrisme. En se penchant sur l'histoire des combattantes kurdes et sur leur politisation, elle met en valeur leur contribution à l'élaboration d'un discours féministe ancré dans leurs pratiques, rappelle que la sororité peut être un véritable outil politique, et offre un éclairage sans précédent sur la création de savoir en temps de guerre. -
Femmes en armes, savoirs en révolte : Du militantisme kurde à la Jineolojî
Somayeh Rostampour
- Agone
- 23 Mai 2025
- 9782748905854
Dans l'urgence et face à la violence de la guerre,
un mouvement de femmes organisé en non mixité
lutte non seulement pour la libération de son peuple,
mais aussi pour sa propre émancipation. « Issu d'un contexte de conflit, ce savoir est profondément ancrée dans les réalités sociopolitiques et culturelles des populations kurdes, et se distingue par sa volonté de redéfinir le féminisme en le réconciliant avec les spécificités locales et en s'opposant aux paradigmes dominants issus des institutions académiques et des discours néocoloniaux. Adoptant une approche critique du discours hégémonique sur le féminisme, qu'elles considèrent comme « eurocentriste », « élitiste », « libéral », « institutionnalisé », « positiviste » « fragmenté » et « apolitique », ces militantes se réfèrent à la Jineolojî tout en évitant en grande partie de se définir comme féministes. Principalement élaborée par des actrices extra-académiques, la Jineolojî cherche à créer un savoir indigène accessible à toutes les femmes. Elle s'oppose au savoir académique en remettant en cause la monopolisation des récits féminins dans les pays du Sud par les institutions et discours dominants du Nord, tout en visant à démocratiser les savoirs pour les populations marginalisées et insurgées. se caractérise par des publications souvent dispersées et anonymes, accompagnées de discours parfois moralisateurs. Mais La Jineolojî, malgré son approche novatrice et militante, comporte des contradictions internes significatives. Elle se trouve donc confrontée à une tension entre ses objectifs émancipateurs et les structures patriarcales qu'elle entend déconstruire. » Ce livre a pour objet un féminisme qui ne dit pas son nom, qui émerge dans un conflit armé long, un féminisme pensé par et pour des femmes kurdes, au carrefour de plusieurs oppressions. Un féminisme qui bouscule les normes et idées occidentales, qui oscille en permanence entre émancipation effective et renforcement des normes genrées, et dont la théorie et la pratique sont indissociables.
Cet objet particulier s'inscrit dans un contexte qui ne l'est pas moins : un peuple sans État depuis que son territoire a été découpé sur quatre pays (Turquie, Iran, Irak, Syrie) ; une lutte pour la libération nationale contre l'État turc menée sur tous les fronts (légaux et clandestins, armés et pacifiques) ; une guerre permanente contre Daesh, influencée par l'humeur et les intérêts des pays occidentaux ; et une société patriarcale bousculée par un mouvement qui souhaite mettre la libération des femmes au coeur de son projet de société. L'autrice parvient à analyser l'émergence de cette théorie, résolument collective, en donnant la parole aux actrices qui la crée, sans faire l'impasse sur les contradictions du mouvement. Nuancée, l'autrice ne laisse place à aucune condescendance, et critique à la fois le nationalisme, l'orientalisme et l'eurocentrisme. En se penchant sur l'histoire des combattantes kurdes et sur leur politisation, elle met en valeur leur contribution à l'élaboration d'un discours féministe ancré dans leurs pratiques, rappelle que la sororité peut être un véritable outil politique, et offre un éclairage sans précédent sur la création de savoir en temps de guerre. -
Savoir commencer une grève : Résistances ouvrières à la désindustrialisation dans la France contemporaine
Romain Castellesi
- Agone
- 24 Mars 2025
- 9782748905793
Pourquoi les ouvriers perdent leurs grèves : parce qu'ils les commencent trop tard, et pas assez durement. « Histoire des luttes ouvrières contre la désindustrialisation en France, des années 1960 à nos jours, ce livre analyse les mutations du répertoire d'actions, entre mobilisations et démobilisations, à l'épreuve de la raréfaction de l'emploi. Quand la grève est lancée, les ouvriers et encore plus les ouvrières se retrouvent presque systématiquement dos au mur, dans un combat désespéré et souvent désespérant, parce que le rapport de force est alors du côté du patronat : les maigres perspectives se réduisent à un accès de violence stérile, ou à une négociation juridique interminable, qui ne permettra pas de sauver grand-chose. À rebours d'une vision parfois décliniste et condescendante de ces luttes, l'auteur souhaite néanmoins les interroger à l'aune de la désagrégation de la classe ouvrière. La disparition de l'appareil industriel a été envisagé dans une optique largement économique. Or le phénomène de désindustrialisation est un fait social qui a ravagé la main-d'oeuvre ouvrière, ses territoires, ses sociabilités et solidarités. C'est ce processus de destruction et d'invisibilisation que l'ouvrage souhaite révéler, en plaidant pour une approche historienne «par le bas. » Au-delà d'une historicisation du point de vue ouvrier, ce livre a un intérêt politique : contre le discours des élites faisant la leçon aux ouvriers et aux ouvrières de l'Hexagone qui devraient se contenter de leurs conditions de travail et salariales, après tout meilleures que celles qui ont cours dans le reste du monde , il est bon de rappeler que c'est avant la catastrophe finale qu'il faut lutter et s'organiser. Parce qu'après, c'est trop tard. Romain Castellesi (1991) est maître de conférences en histoire contemporaine à l'université du littoral Côte d'Opale. Pour la thèse à l'origine de ce livre, il a notamment gagné le prix Rolande-Trempé de l'Association française pour l'histoire des mondes du travail (AFHMT) en 2023.
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Ce que signifie travailler dans une usine
qui peut exploser d'un jour à l'autre. « On a remplacé l'équipe d'après-midi, bien heureuse de quitter l'atelier. C'est notre tour, maintenant, pour huit heures. On est installés, dans le réfectoire, autour des tasses de café. Les cuillères tournent mollement, on a tous le même état d'esprit et aussi, déjà, la fatigue devant cette nuit qui va être longue. Tous les jours pareils. J'arrive au boulot et ça me tombe dessus, comme une vague de désespoir, comme un suicide, comme une petite mort, comme la brûlure de la balle sur la tempe. Un travail trop connu, une salle de contrôle écrasée sous les néons - et des collègues que, certains jours, on n'a pas envie de retrouver. On fait avec, mais on ne s'habitue pas. On en arrive même à souhaiter que la boîte ferme. Oui, qu'elle délocalise, qu'elle restructure, qu'elle augmente sa productivité, qu'elle baisse ses coûts fixes. Arrêter, quoi. Qu'il n'y ait plus ce travail, qu'on soit libres. Libres, mais avec d'autres soucis. Personne ne parle de ce malaise qui touche les ouvriers qui ont dépassé la quarantaine et ne sont plus motivés par un travail trop longtemps subi. Qu'il a fallu garder parce qu'il y avait la crise, le chômage. Une garantie pour pouvoir continuer de consommer à défaut de vivre. » Cet ouvrage constitue la réédition, augmentée d'une préface de l'auteur, de ses écrits d'usine. On se souvient de l'explosion, le 21 septembre 2001, de l'usine AZF à Toulouse. Paru un an plus tard, ce livre décrit dans sa première partie les conditions de travail dans une usine jumelle d'AZF, qui produisait le nitrate d'ammonium à l'origine de la catastrophe. D'un livre à l'autre, puis en bande dessinée (2002), en documentaire (2006) et en théâtre (2018), Jean Pierre Levaray a donné ce qu'un ouvrier passé à l'écriture peut faire de mieux pour témoigner de la condition de sa classe. -
« L'expérience consciente est un phénomène répandu. Elle survient à de nombreux degrés dans la vie animale. Le fait même qu'un organisme possède une expérience consciente montre que cela fait un certain effet d'être cet organisme. Nous pouvons appeler cela "caractère subjectif de l'expérience". Il n'est saisi par aucune des analyses habituelles réductrices du mental. Il ne sert à rien de fonder la défense du matérialisme sur une analyse des phénomènes mentaux, qui ne réussit pas à prendre en compte leur caractère subjectif. La raison de cet échec est que le phénomène subjectif est relié essentiellement à un point de vue unique, et qu'il paraît inévitable qu'une théorie objective, physique, abandonne ce point de vue subjectif. Cette réflexion sur les chauve-souris s'inscrit dans le cadre de mes réflexions sur le problème du corps et de l'esprit et elle doit aider à trouver une nouvelle façon de le poser. » Paru en 1974, cet essai est devenu un classique aussi bien de la philosophie que de la psychologie et des neurosciences. Nagel y analyse l'impossibilité d'expliquer objectivement la conscience et l'expérience subjective. Pour le montrer, il s'appuie sur notre incapacité à nous représenter le vécu des chauves-souris qui se déplacent grâce à l'écholocation. Les sciences font donc face à une limite majeure : la subjectivité vécue humaine ou animale. Et l'éthique doit aussi tenir compte de cette sensibilité animale, qui oscille entre plaisir et douleur. En généralisant, Nagel s'interroge alors sur notre compréhension de l'univers, entre perspective scientifique et perspective subjective. Pour cela, il propose des pistes de recherche sur le lien entre la matière et l'esprit conscient. Philosophie américain, Thomas Nagel est l'auteur d'une oeuvre importante, entre philosophie de l'esprit et philosophie morale. Entre autres ouvrages traduits en français, Qu'est-ce que tout cela veut dire (L'Éclat, 1993), Le Point de vue de nulle part et Questions mortelles (rééditions à paraître chez Agone).
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Il y a cent ans, partisans et adversaires de la vaccination se demandaient déjà si elle n'était pas plus liberticide que médicale. « En 1889, Pasteur s'impose comme la figure du Grand Homme, bienfaiteur de l'humanité et savant républicain. Ses travaux sont érigés en étape décisive, non seulement dans l'affirmation de la médecine moderne, mais aussi dans la promotion de l'idéologie scientiste et progressiste qui s'impose au coeur du projet républicain. À l'inverse, ses adversaires, pourtant nombreux, sont délégitimés et ravalés au rang d'irréductibles réactionnaires et de parfaits incompétents. De fait, Pasteur impose un nouveau modèle de la `science en train de se faire' : une science de laboratoire, tenue à l'écart de l'opinion, voire secrète. Par là, elle semble correspondre au modèle d'une République qui promeut un nouvel ordre social et politique, fondé sur la raison dans sa version pédagogique, faite pour justifier la domination coloniale, sociale et sexuelle. » Les « microbes » participent ainsi à la formation d'une forme de démocratie « moderne », entre élections et affirmation de la société civile, en faisant émerger une forme de solidarité et de responsabilité fondée sur la pratique vaccinale. Et une nouvelle figure du savant et médecin que la République met à profit pour sortir de la crise de légitimité politique à laquelle elle fait face au tournant du siècle. Partant d'une analyse des débats contemporains sur la vaccination, ce livre revient sur la victoire de la médecine pastorienne pour mettre au jour les dynamiques autour desquelles se nouent les rapports entre l'histoire politique, celle de la République, et l'histoire de la médecine. Qu'est-ce qui rend le vaccin aussi clivant et semble immédiatement situer ses partisans ou ses adversaires sur le terrain de la défense ou de l'opposition au modèle républicain ? Prenant pour objet l'étude des discours et arguments des opposants à Louis Pasteur et à ses recherches, cet ouvrage analyse les enjeux politiques et sociaux dans les débats sur les questions vaccinales. Professeur à Paris-I Panthéon-Sorbonne et directeur du Centre Mahler, le spécialiste d'histoire des sciences Jean-Luc Chappey est notamment l'auteur de La Révolution des sciences : 1789 ou le sacre des savants (2020) et Sauvagerie et civilisation. Une histoire politique de Victor de l'Aveyron (2017).
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Ce livre remet en question certaines de nos croyances contemporaines les plus fondamentales, en particulier celle fondée sur le progrès, et rappelle, d'une part, que l'espèce humaine est soumise à la même loi de précarité et de caducité que les autres espèces et, d'autre part, que rien ne garantit que la forme industrielle de production soit biologiquement adaptée à l'être humain.
Ces deux idées pourraient donner l'impression de relever du simple bon sens ; elles n'ont rien de particulièrement choquant ou subversif. Mais elles n'en ont pas moins suscité des réactions négatives surprenantes de la part de tous ceux, scientifiques, économistes, politiciens, intellectuels, qui partagent une conviction commune, que l'on peut appeler « la croyance dans la croissance économique illimitée ».
Quand il s'interroge sur le type de lecteurs qui seraient, au contraire, susceptibles d'apprécier les idées qu'il a développées, l'auteur suggère prudemment deux groupes, qu'il appelle les « conservateurs de la valeur » et les « intellectuels de gauche » - dont il constate, qu'il semble pour tout dire déjà moribond.
La question qui se pose est de savoir qui sont aujourd'hui les intellectuels de gauche. Doit-on encore appeler ainsi des gens qui, s'ils sont plus sensibles que d'autres aux coûts sociaux et humains du progrès, et en particulier aux inégalités qu'il engendre, n'en continuent pas moins le plus souvent à croire à la possibilité et à la nécessité du progrès par la croissance économique illimitée, se contentant pour l'essentiel d'exiger que les fruits de la croissance soient répartis un peu plus équitablement ? -
« Si l'éducateur est celui qui sait, si les élèves sont ceux qui ignorent, il incombe au premier de donner, de remettre, d'apporter, de transmettre comme en dépôt son savoir aux seconds. Il n'est donc pas étonnant que, dans cette vision "bancaire" de l'éducation, les élèves soient vus comme des êtres d'adaptation, d'ajustement. Et plus ils s'emploient à archiver les dépôts qui leur sont versés, moins ils développent en eux la conscience critique qui leur permettrait de s'insérer dans le monde, en transformateurs de celui-ci. En sujets. Dans la mesure où cette vision bancaire de l'éducation annule ou minimise le pouvoir créateur des élèves, qu'elle stimule leur naïveté et non leur esprit critique, elle satisfait les intérêts des oppresseurs : pour eux, il n'est pas fondamental de mettre à nu le monde, ni de le transformer.
Les oppresseurs maintiennent les masses aliénées, à travers des mythes indispensables au statu quo. Par exemple, le mythe selon lequel tout un chacun, à condition de ne pas être fénéant, peut devenir un entrepreneur ; le mythe de l'héroïsme des classes oppressives, comme gardiennes de l'ordre ; le mythe du droit de toutes et tous à l'éducation. »
À l'image d'autres grands pédagogues, en premier lieu Célestin Freinet, Freire rappelle que projet éducatif et projet social sont indissociables. Selon lui, le but de l'éducateur est de donner aux opprimés les moyens de construire une conscience claire de leur position, et de rechercher avec eux les moyens de transformer le monde. Écrit en 1968 au Chili, ce texte irrigue aujourd'hui encore la pensée de la pédagogie critique partout dans le monde.
Pédagogue brésilien, Paulo Freire (1921-1997) est mondialement connu pour ses travaux sur l'alphabétisation des adultes des classes populaires et son engagement dans la lutte contre l'oppression par l'éducation. Ses ouvrages sont traduits dans plus de vingt langues. -
Pour lutter contre les racismes, mieux vaut savoir de quoi on parle lorsqu'on parle de « race ».
Plutôt que de trancher entre origine sociale et origine biologique,
plutôt il faut comprendre la « conception ordinaire de la race ».
Une approche qui concerne aussi bien les racismes que leurs critiques.
« Ce livre est un essai sur la métaphysique de la race. Il cherche à apporter une réponse philosophique à une seule et unique question fondamentale : qu'est-ce que la race chez les êtres humains, si tant est qu'elle existe ? En posant cette question, nous ne supposons pas que nous savons d'emblée si la race est biologique ou sociale. Nous ne supposons pas non plus que nous savons si les races existent ou n'existent pas, ou si la race est réelle ou irréelle. Nous ne supposons pas non plus que la race est une chose et une seule.
» La question se veut totalement ouverte.
» Pour y répondre, nous devons prêter une attention particulière aux différentes façons dont nous parlons de "race" et être conscients que nous sommes souvent confus et embrouillés
à son propos. »
S'attaquant au consensus sur la construction sociale des races, le philosophe afroaméricain Michael Hardimon propose un concept minimal de race n'impliquant que l'existence de différences phénotypiques observables (superficielles) entre les populations et correspondant aux différences d'ascendance géographique - différences souvent détournées par le discours raciste.
Montrant que le concept minimal de race est essentiel pour notre conception ordinaire, cet ouvrage défend un réalisme « déflationniste » à son égard et va à contresens du consensus sur le racisme et sa critique.
Avec rigueur et érudition, l'auteur veut faire progresser le débat au niveau populaire, philosophique et scientifique.
Professeur de philosophie à l'University of California, San Diego, Michael O. Hardimon travaille sur les théories critiques de la race et sur la philosophie allemande du XIXe siècle. Repenser la race est son premier livre traduit en français. -
« Enfant éternel que je suis. J'ai toujours suivi la voie des gens ardents sans vouloir être en eux, je disais - je parlais et ne parlais pas, j'écoutais et voulais les entendre fort plus fort encore et regarder en eux. Je me sacrifiais pour d'autres, ceux qui me faisaient pitié, ceux qui étaient loin ou bien ne me voyaient pas moi qui voyais. Bientôt quelques-uns ont reconnu le visage de celui qui voit au-dedans et alors ils n'ont plus posé de questions. »
« 23 novembre 1914. Vienne 13°, Hietzinger Hauptstrasse 101. Ma chère Gerti !
Nous vivons l'époque la plus formidable que le monde ait jamais connue. - Nous nous sommes habitués à toutes les privations, des centaines de milliers de gens meurent dans la misère - chacun doit supporter son sort en vivant ou en mourant - nous sommes devenus durs et intrépides. Ce qui existait avant 1914 appartient à un autre monde, - nous aurons donc toujours les yeux rivés sur l'avenir, - qui n'a pas d'espoir appartient aux mourants, - nous devons être prêts à supporter tout ce que la vie apportera.
Et comme le soleil brille après l'orage, nous verrons nous aussi le soleil. C'est tout le bonheur que te souhaite ton frère... »
Ce choix de textes pour l'essentiel inédits en français révèle la trajectoire d'un peintre aussi radical qu'impétueux, qui n'eut de cesse de s'élever contre l'académisme et l'esprit petit-bourgeois. Au travers de vingt sept poèmes et vingt-et-une lettres adressées à ses proches, Schiele défend une vision de l'art offensive et révoltée.
Peintre, poète et dessinateur, Egon Schiele (1890-1918) a fondé le mouvement Neukunstgruppe et participé à la Sécession viennoise après des études à l'académie des Beaux-Arts. Emprisonné en 1912 durant plusieurs semaines à cause de ses dessins jugés pornographiques, il est mobilisé en 1915 et meurt en 1918 de la grippe espagnole. -
Une contre-histoire d'internet du XVème siècle à nos jours
Félix Tréguer
- Agone
- 8 Septembre 2023
- 9782748905281
« Le contrôle de l'espace public - notamment médiatique - par l'État s'appuie sur des stratégies multiséculaires sans cesse renouvelées, qui se sont adaptées à la nouvelle donne introduite par Internet. Cette technologie est ainsi rapidement passée d'un instrument au potentiel émancipateur à un instrument de pouvoir étatique et économique sans précédent. Comprendre le fil de ce changement implique de replacer cette technologie dans une histoire longue : celle des conflits qui ont émergé chaque fois que de nouveaux moyens de communication ont été inventés.
Depuis la naissance de l'imprimerie, les stratégies étatiques de censure, de surveillance, de propagande se sont sans cesse transformées et sont parvenues à domestiquer toute contestation. L'État à toujours su restaurer son emprise sous des formes inédites au gré d'alliances avec les seigneurs du capitalisme. Aujourd'hui, les grandes entreprises qui maîtrisent l'infrastructure numérique sont progressivement intégrées aux politiques de contrôle de l'espace public, tandis que les usages militants d'Internet font l'objet d'une violente répression. »
Après quinze années d'engagement en faveur des libertés sur Internet, Félix Tréguer analyse avec lucidité les fondements antidémocratiques de nos régimes politiques et la formidable capacité de l'État à façonner la technologie dans un but de contrôle social. Il interpelle ainsi l'ensemble des acteurs qui luttent pour la transformation sociale.
Membre fondateur de La Quadratruture du Net, association dédiée à la défense des libertés à l'ère numérique, Félix Tréguer est également chercheur associé au Centre Internet et société du CNRS et post-doctorant au CERI-Sciences Po. -
C'est avec ce court essai que Chomsky fait irruption, en 1967, sur la scène politique américaine comme principal critique de l'impérialisme américain. Décrit comme « la pièce la plus influente de la littérature anti-guerre », ce texte pose les jalons de ce qui sera le combat de tout une vie et de toute une génération. Fondateur dans la pensée de l'auteur et cardinal pour toute analyse du statut d'intellectuel, cet essai reste d'une dérangeante actualité : celles et ceux qui se mettent au service du pouvoir (États et multinationales) choquent d'autant plus qu'ils jouissent de plusieurs privilèges notoires, ceux d'avoir eu « le loisir, les infrastructures et la formation nécessaires pour rechercher la vérité qui se cache derrière le voile de distorsion et d'altération, d'idéologie et d'intérêt de classe à travers lequel les événements de l'histoire en cours sont présentés » Parce que ces privilèges donne aux intellectuels des possibilités inaccessibles au commun, celles-ci leur imposent des responsabilités impérieuse et une mission : éclairer ses lecteurs, et d'abord ses contemporains. L'article fondateur (inédit en français) est complété dans notre édition par les commentaires et actualisations que l'auteur a donnés à l'occasion de son cinquantenaire. Un essai qui redonne tout leur sens aux mots « responsabilité » et « intellectuel », salutaire dans un pays où les intellectuels (de gauche) sont coutumiers de la trahison de leurs idéaux.
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Ce livre analyse l'abandon par les « nouveaux démocrates » des classes populaires et des syndicats au profit des classes aisées et cultivées. Ce choix pour l'« économie de la connaissance » a condamné les travailleurs manuels et les catégories peu diplômées à la relégation sociale et à une forme de plus en plus agressive de mépris culturel.
Dépréciées par le parti qui leur servait autrefois de véhicule politique, les classes populaires sont devenues plus attentives aux thématiques identitaires de démagogues réactionnaires. L'histoire mondiale récente - des mandats de Trump et de Bolsonaro aux élections de Biden et de Macron - n'a fait que confirmer les analyses de l'auteur.
Aux États-Unis comme en France, la méritocracie s'est installée sans complexes, mettant à mal les services publics, faisant du marché du travail un marché contractuel profondément défavorable aux petits salariés, démantelant le syndicalisme. Aux États-Unis comme en France, en cajolant les hauts salaires, la « gauche » a pavé la voie (royale) à l'extrême droite.
Ce livre, véritable plaidoyer contre la méritocratie et pour reconsidérer les classes laborieuses, offre un rappel que la gauche n'est pas moins responsable que la droite de l'explosion récente des inégalités, grâce à une analyse du modèle américain mis en oeuvre en France, de Hollande à Macron.
Journaliste et essayiste, Thomas Frank écrit régulièrement pour Le Monde diplomatique et Harper's des articles d'analyse sociale et politique de la situation américaine. Cofondateur et rédacteur en chef du magazine The Baffler, il est l'auteur d'une demi-douzaine d'ouvrages. -
Dans quelle mesure l'islam a-t-il freiné le développement économique des pays dits « islamiques » ? L'a-t-il seulement influencé ? À travers une analyse matérialiste des liens entre la religion de Mahommet et les structures économiques du monde arabo-musulman, Maxime Rodinson montre que, comme chez ses homologues judaïques et chrétiens, la religion n'a pas été déterminante. Aucun interdit spécifique n'a jamais vraiment été imposé aux fidèles. Ainsi dans le monde musulman médiéval faisait-on fructifier l'argent avec autant d'entrain que de réussite. Le capitalisme y existait donc, sous différentes formes. Comme toutes les grandes religions, l'islam n'a pas échappé aux lois historiques, qui ont influencé ses lectures et interprétations. Les « retards » constatés en matière économique sont donc le résultat d'autres facteurs - au premier rang desquels figure la colonisation.
Socialiste convaincu, Maxime Rodinson couple son analyse historique de données contemporaines et se demande si l'islam peut avoir son rôle à jouer dans une révolution socialiste des pays musulmans - seule perspective pour faire advenir la justice sociale.
« Il n'est qu'un moyen sûr au monde pour que les non -privilégiés obtiennent que leurs droits d'êtres humains soient respectés, c'est de leur donner une part au contrôle du pouvoir politique, d'abolir le plus de privilèges qu'il est possible, et de garantir ces conquêtes par des institutions adéquates et solides. On peut décorer, si l'on veut, ces institutions de la phraséologie des préceptes musulmans, chrétiens, juifs, bouddhistes, stoïciens, kantiens et de mille autres. Cela fera même justice à un certain sens de ces préceptes. Mais les préceptes sans les institutions ne sont que vaine littérature et honteux camouflage d'iniquités fondamentales. »
Une analyse historique, sociologique, économique, religieuse et anthropologique - actualisée par la préface d'Alain Gresh -, qui n'a rien perdu de sa pertinence pour toutes celles et ceux qui cherchent des références pour comprendre l'actualité du monde arabo-musulman.
Linguiste, sociologue, historien, orientaliste, Maxime Rodinson (1915-2004) nourrit son analyse de l'islam d'une approche résolument marxiste. Il est l'auteur de nombreux ouvrages, dont L'Islam : politique et croyance (1994) et d'une biographie du prophète de l'islam, Mahomet (1994). -
Eric Hobsbawm est né l'année de la révolution d'Octobre et s'est réclamé du marxisme toute sa vie. La période qu'il analyse et le communisme qui en constitua une dimension essentielle sont donc liés à son existence. Bien que le XXe siècle soit achevé, son interprétation reste un enjeu politique décisif. Et le fait que l'ordre en place provoque son lot de révoltes presque partout dans le monde interdit de reléguer au rang de contes poussiéreux les chapitres d'un temps qui a vu des peuples renverser l'irréversible. Leurs espérances furent parfois déçues, détruites, décapitées (cette chose-ci est connue), mais aussi parfois récompensées (cette chose-là est moins évoquée). L'Ère des extrêmes nous rappelle que l'humanité ne fut pas toujours impuissante et désarmée quand elle voulut changer de destin. Lorsque Hobsbawm publia ce livre, ce genre d'observation n'allait plus de soi. Mais vingt-cinq ans plus tard, les lampions de la célébration définitive de la démocratie libérale sont éteints. Et l'histoire qui resurgit ne se résume pas à un imaginaire désenchanté. Cette somme mêle l'étude des révolutions politiques, culturelles et des bouleversements sociaux du XXe siècle, celle des deux guerres mondiales, mais aussi des innovations artistiques et scientifiques.
Traduit en trente langues et largement célébré, L'Ère des extrêmes rencontra un accueil plus difficile en France, où les grandes maisons d'édition refusèrent de publier des analyses trop marquées selon elles par l'attachement de l'auteur à la cause révolutionnaire. « Dans les toutes premières lignes de son ouvrage, Eric Hobsbawm écrit : "En cette fin de XXe siècle, la plupart des jeunes femmes et des jeunes hommes grandissent dans une espèce de présent permanent, dépourvu de tout lien organique avec le passé public qui a pourtant façonné les temps actuels."
Rien de tel que ce livre superbe, si riche de faits lumineusement rapprochés, bouillonnant d'idées, pour éclairer le lecteur sur l'histoire, toute proche et pourtant mal connue, qui a modelé ce monde désorienté et l'incite à sortir de ce "présent permanent" sans perspectives, à inventer, avec d'autres, son propre avenir. »
Claude Julien « Le siècle des extrêmes. Une histoire qui a modelé notre monde désorienté », Le Monde diplomatique, mars 1995. -
Quand les travailleurs sabotaient : France, Etats-Unis (1897-1918)
Dominique Pinsolle
- Agone
- 13 Septembre 2024
- 9782748905649
L'histoire du monde du travail, dont les médias et le monde politique négligent, méprisent et effacent la réalité historique et sociologique, n'a pas fini de nous donner des leçons sur la culture de la résistance.
« Quelle que soit la manière dont on qualifie la littérature, les discours, les représentations et les pratiques liés au sabotage en France et aux États-Unis jusqu'à la guerre, il n'en demeure pas moins que le phénomène n'a aucun équivalent ailleurs dans le monde, ni dans sa nature, ni dans son ampleur. Toutes les forces syndicalistes révolutionnaires ont été réceptives au concept, mais seuls les militants français et les Wobblies étatsuniens ont produit une doctrine originale du sabotage qui a rencontré un écho international - comme en témoigne la diffusion internationale du terme français et du symbole du chat noir. En outre, malgré leurs particularités respectives, les deux formes de cette tactique qui se développent de part et d'autre de l'Atlantique sont liées et peuvent donc être appréhendées comme les deux étapes d'une même histoire. »
L'urgence climatique et sociale a remis au goût du jour l'activisme radical, dont le recours au sabotage. Loin de se réduire à une dégradation matérielle, cette pratique a soulevé d'immenses espoirs dans les rangs syndicalistes révolutionnaires de la « Belle Époque », au point d'être théorisée et mise en oeuvre de manière collective. De la Confédération générale du travail (CGT) en France aux Industrial Workers of the World (IWW) aux États-Unis, le sabotage apparaissait alors comme une tactique légitime, imparable, et contre laquelle patrons et gouvernants ne pouvaient rien. Cette expérience syndicale éclaire la portée et les limites d'un moyen d'action marginalisé, objet de nombreux fantasmes. -
Black lives matter : le renouveau de la revolte noire americaine
Keeanga-Yamahtta Taylor
- Agone
- 21 Octobre 2022
- 9782748905021
Comment le mouvement Black Lives Matter a-t-il pu naître sous le mandat du premier président noir ?
Une plongée dans l'histoire du racisme aux États-Unis, écrite par une universitaire et militante membre du mouvement Black Lives Matter.
Réédition avec une préface qui actualise ce classique sur le renouveau des luttes contre le racisme aux États-Unis à l'aune de l'évolution des luttes sociales au cours de la dernière décennie.
Cet essai revient sur l'« économie politique du racisme » depuis la fin de l'esclavage, le reflux des mouvements sociaux des années 1960 et l'essor d'une élite noire prompte à relayer les préjugés racistes et anti-pauvres. Il défend le potentiel universaliste de Black Lives Matter : afro-américain et tourné contre les violences policières, il peut parfaitement rallier d'autres groupes et s'étendre à une lutte générale pour la redistribution des richesses.
Dès 2017, K-Y. Taylor avait anticipé la déflagration qui suivra l'assassinat de George Floyd en 2020, comme plus tôt le meurtre de Mike Brown par un policier blanc avait marqué un point de rupture pour les Afro-Américains de Ferguson (Missouri). Peut-être était-ce à cause de l'inhumanité de la police, qui a laissé le corps de Brown pourrir dans la chaleur estivale. Peut-être était-ce à cause de l'arsenal militaire qu'elle a sorti dès les premières manifestations. Avec ses armes à feu et ses blindés, la police a déclaré la guerre aux habitants noirs.
Militante antiraciste, féministe et anticapitaliste, Keeanga-Yamahtta Taylor enseigne au Département d'études afro-américaines de l'université de Princeton. Black Lives Matter, son premier livre, a reçu de nombreux prix et a été plusieurs fois réimprimé depuis sa sortie aux États-Unis. -
À la fin des années 1960, la concurrence internationale et la peur du déclassement transforment un populisme de gauche (rooseveltien, conquérant, égalitaire) en un « populisme » de droite faisant son miel de la crainte de millions d'ouvriers et d'employés d'être rattrapés par plus déshérités qu'eux. C'est alors que la question de l'insécurité resurgit. Elle va embourgeoiser l'identité de la gauche, perçue comme laxiste, efféminée, intellectuelle, et prolétariser celle de la droite, jugée plus déterminée, plus masculine, moins « naïve ».
Cette métamorphose s'accomplit à mesure que l'inflation resurgit, que les usines ferment et que l'« élite », jadis associée aux grandes familles de l'industrie et de la banque, devient identifiée à une « nouvelle gauche » friande d'innovations sociales, sexuelles et raciales.
Les médias conservateurs n'ont plus qu'à se déchaîner contre une oligarchie radical-chic protégée d'une insécurité qu'elle conteste avec l'insouciance de ceux que cette violence épargne. Au reste, n'est-elle pas entretenue dans ses aveuglements par une ménagerie de juges laxistes, d'intellectuels jargonnants et autres boucs émissaires rêvés du ressentiment populaire ?
« Progressistes en limousine » là-bas ; « gauche caviar » chez nous.
Extrait de la préface de Serge Halimi