On ne saurait dire de Gilbert Lascault, dont l'abondante bibliographie révèle une activité littéraire constante depuis le milieu des années 1960, qu'il serait un critique d'art méconnu qu'il faudrait, selon les termes consacrés, «?redécouvrir?». Il n'y a en effet pas lieu de le faire tant lui-même a tâché d'être le plus discret possible. Mais nous souhaitions partager avec un plus grand nombre de lecteurs des textes du critique d'art aujourd'hui difficilement accessibles, complétant en cela sa première anthologie, Écrits timides sur le visible, parue en 1979 (Union générale d'éditions) puis rééditée en 2008 (Kiron/Le Félin). Les textes réunis par Camille Paulhan pour ce volume sont issus de catalogues, de revues, d'actes de colloque ou de recueils variés, s'étirant sur une période allant de 1968 à 1994. Ils permettent d'appréhender la poésie d'une esthétique apparemment effilochée, manifestement énamourée et définitivement engagée. Les saveurs imprévues et secrètes, ce sont celles qui émanent des oeuvres d'art et parmi lesquelles Gilbert Lascault nous guide, comme un nez manipulant des fragrances évanescentes.
Chaque tableau de Nicole Bottet étonne, surprend. Il séduit.
Il suppose une élégance imprévue, un charme soudain, une simplicité harmonieuse. Il propose des variations, des rythmes modifiés, des fugues discrètes, les jeux de l'équilibre et des instabilités, les oscillations, l'espace mouvant, les sillages, les transparences, les traces, les empreintes.
Chaque tableau est une chance, une baraka, une aubaine. Il est une occasion, un sort. A chaque coup de pinceau, l'artiste ose, elle se lance. Elle risque sans cesse. Dans le champ de la création, elle est une aventurière.
Elle tente et décide. Elle essaie et fonce. Elle agit à la bonne occasion, dans le lieu convenable, au moment favorable, par les gestes appropriés, à la belle heure, pour la joie et par la joie.
L'opportunité est irréversible, comme le premier chant du coq à l'aube. L'artiste voyage à l'intérieur de l'inexploré.
Gilbert Lascault
Antonio Seguí, peintre argentin né à Córdoba en 1934, vit et travaille en France depuis 1963. En 1962, lors d'une exposition à Buenos Aires, la satire sociale mise en scène dans ses oeuvres fait réagir le public. Le peintre bénéficie alors d'un véritable « succès du scandale ». Sa carrière est lancée ; son travail révélé en Europe à l'occasion de la Biennale de Paris et exposé en-suite dans le monde entier.
Jeune peintre, il puise son inspiration auprès d'artistes comme Giorgio de Chirico, Mario Sironi, Gutiérrez Solana ou encore Honoré Daumier. Dès les années 60, Seguí se place aux premiers rangs de la Nouvelle Figuration et du Pop Art, parmi les artistes ayant rejeté le formalisme de l'abstraction et redonné une place « au quotidien ».
Et l'Homme est bien la figure emblématique du peintre : une silhouette anonyme, en mouvement, mise en scène tantôt seule tantôt perdue dans une agitation urbaine, tragique ou cocasse. L'Homme y est réduit à son comportement social. L'échelle de grandeur disparaît ; l'anatomie des corps n'obéit plus aux normes de la biologie. La facétie et l'humour supplantent l'angoisse existentielle. Le peintre orchestre ainsi, à sa façon, les espoirs et les folies d'une comédie humaine ironique, faussement naïve et inquiétante.
Les tableaux de Seguí sont aussi sombres et dénonciateurs et figurent des représentants du pouvoir, de l'armée et du clergé : des toiles expressionnistes et satiriques qui font allusion à l'histoire politique et sociologique de l'Amérique latine.
L'artiste travaille par séries et décline des suites de toiles aux connotations autobiographiques. On retrouve en permanence dans son oeuvre El Señor Gustavo, personnage sombre, en costume, portant un chapeau et traversant les peintures comme une espèce de double et témoin du peintre.
Son oeuvre évolue significativement à la fin des années 80 : la texture se fait plus légère et fluide, les couleurs deviennent lumineuses, voire fluorescentes. Les tableaux se couvrent de formes géométriques et d'aplats de couleurs. Le peintre n'a de cesse de réinventer son théâtre populaire en explorant tous les possibles de la couleur, de la composition et du dessin. Ses peintures se suivent mais ne se ressemblent pas.
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Grau-Garriga choisit sa palette de différences, d'antinomies, d'oppositions, de paradoxes. Il tisse l'intime et l'éclatant, le sensible et le réfléchi, la tendresse et l'intensité, le grave et l'humour, l'histoire du monde (celle, en particulier, de la Catalogne) et les souvenirs de son enfance, la rigueur et les passions, la jubilation et l'inquiétude, l'amour de la vie et le tragique, le monumental et le poétique.
Intuitif, imaginatif, subtil, il avance par des associations arborescentes.
Sa pensée trouve des tours et des détours, des méandres, des zigzags. Il explore toujours de nouvelles voies. Il refuse le " déjà vu ", le " déjà fait ", les stéréotypes, le figé, le conventionnel, le répétitif, le redondant. Il préfère la surprise, l'inattendu, l'imprévu. Dans le monde des formes et des techniques, il devient un chercheur décidé, un aventurier vigilant, un explorateur appliqué, un découvreur diligent.
Les jeux graves de son art, une stratégie joyeuse, le ludique entrecroisent des élans mystiques, l'éros, une liberté désirée, le refus de toute entrave, la haine de toute oppression.
Ces jeux sont contestataires et inventifs... " Gilbert Lascault
Pendant presque un an, Stéphane Blanquet déploie son imaginaire tentaculaire dans la totalité de l'espace de la Halle Saint-Pierre, temple parisien de l'art brut et de l'art outsider : une carte blanche qui est également pour lui l'occasion d'inviter des artistes avec qui il partage le même goût pour notre "humanité souterraine" . L'enjeu : affirmer la vitalité de ces expressions artistiques individuelles et autonomes qui rompent avec les conventions et les codes dominants et renversent les valeurs établies du "beau" et du "laid" , du "bon" et du "mauvais" goût.
Dessinateur, plasticien, metteur en scène, réalisateur, Stéphane Blanquet est considéré comme l'une des figures majeures de la scène artistique underground. Par un foisonnement d'images, de formes et de sons depuis la fin des années 1980 à travers des oeuvres d'art, des installations, des spectacles vivants et scénographies, par l'édition indépendante, l'art urbain, mais aussi le cinéma d'animation, ou encore la musique...
Stéphane Blanquet choque, provoque, trouble, aime créer le malaise en manipulant nos frustrations et ses propres obsessions. Son univers torturé, angoissé est peuplé d'hommes, de femmes et d'enfants que nous voyons habités par le démon de la perversité. Mais cette tension entre innocence et cruauté, entre jubilation sexuelle et pulsion de mort n'est pas désespérance sans issue. Blanquet fait la peau au refoulé, ressuscite la chair, les corps délivrés de la culpabilité et de la peur de mourir.
L'artiste enrichit son travail en explorant avec passion les technologies et techniques les plus variées, des plus traditionnelles aux plus avant-gardistes : dessin à la plume, lithographie, tapisserie numérique, outils informatiques... Publié à l'occasion de l'exposition éponyme à la Halle Saint-Pierre, Paris, du 5 septembre 2020 au 30 juillet 2021.
La prestigieuse Manufacture de Sèvres a toujours su accueillir plasticiens et designers, de Boucher, Duplessis ou Falconet au XVIIIe siècle à Alechinsky, Zao Wou-Ki, Pierre Soulages ou Louise Bourgeois au XXe. Accompagnant la création la plus contemporaine, elle invite en 2010 Mâkhi Xenakis à concevoir une sculpture : Madame de Pompadour s'impose à l'artiste comme une évidence. Rencontre avec son «modèle» : La Pompadour, une femme libre, autoritaire, cultivée et courtisane à la fois, qui a rassemblé autour d'elle les grands hommes de son siècle et constitue la figure emblématique de l'institution née sous son égide en 1740 pour imposer la porcelaine française face aux productions de Saxe. Rencontre avec les savoir-faire ancestraux de Sèvres et leur capacité à s'adapter aux nouveaux désirs des artistes. Rencontre avec un siècle, le XVIIIe, qui, avant la Révolution, incarne le raffinement, l'élégance, la gourmandise et l'intelligence subtile des femmes. Rencontre avec les formes de l'histoire de l'art qui inspirent la création de Mâkhi Xenakis : les Vénus préhistoriques ou cycladiques, les sphinx de la mythologie antique, l'Olympia de Manet, les corps transformés de Francis Bacon ou de Louise Bourgeois.Rencontre avec un écrivain, Gilbert Lascault, qui a su saisir à la fois les aspects jubilatoires des sculptures de Mâkhi et la lignée historique dans laquelle elles s'inscrivent. Rencontre de l'artiste avec elle-même, confrontée aux questions de sens que pose toute oeuvre artistique. Elle revendique ici le caractère sexué de l'oeuvre, bien souvent nié, proposant une créature offerte, savoureuse, vulnérable, animale. Enfin, et renouvelée comme toujours, une nouvelle rencontre avec Louise Bourgeois. Un dialogue de rêve entre la prodigieuse Nature Study, figure androgyne que Louise Bourgeois réalisa en 2003 pour la Manufacture de Sèvres et l'insolente Pompadour.
La ligne s'inscrit sur la page d'un territoire; elle se dessine comme une colline, comme une olivaie, comme une montagne, dans un jeu de soleil et de quelques ombres.
La ligne se grave, se trace, se griffe, s'imprime. Elle fixe, elle marque, elle laboure les paysages. Elle les divise. Elle distribue le terrain. Elle partage le sol. Elle ordonne le pays. Elle borne les champs. Elle les limite. Elle arrête les marches. Elle découpe l'espace, le subdivise. Elle parcellise la campagne... Et les insectes stridulent.